Les déterminants de la surprotection parentale dans un monde social en mutation

Informations sur le projet
Titre: 
Les déterminants de la surprotection parentale dans un monde social en mutation
Institution liée au projet: 
UNIL
État du projet
Date de début du projet: 
septembre, 2022
Date de fin du projet: 
septembre, 2023
A l'issue de la recherche, résumer les résultats en mettant en évidence les bénéfices pour l'éducation: 

Bien que, depuis les célèbres travaux de Bronfenbrenner (1974, 1977), de très nombreux auteurs et chercheurs aient abondamment souligné l'importance de contextualiser l'étude du développement de l’enfant et de l’adolescent (p.ex. Lerner et al., 2018), la recherche en psychologie du développement sur les relations familiales se concentre encore presque exclusivement sur des variables individuelles. Dans la perspective bio-écologique proposée par Bronfenbrenner et Morris (2006), il est indispensable pour comprendre le développement de l’adolescent·e et ses outcomes développementaux (p.ex. construction identitaire, réussite scolaire, etc.) d’examiner les interactions que les adolescent·es entretiennent en particulier avec leurs microsystèmes (p.ex. famille, école, groupes de pairs). Dans ce projet, nous nous intéressons plus généralement à la famille, aux parents d’adolescent·es en contexte et en particulier à une forme de parentalité (la surprotection parentale) qui a des répercussions sur le développement de l’adolescent·e et son éducation tant au niveau familial que scolaire.

Aujourd’hui, de nombreux travaux suggèrent que la surprotection parentale (qui prend place principalement dans la sphère familiale) a des répercussions négatives sur la sphère scolaire et plus précisément sur la scolarité des élèves notamment en ce qui concerne l’investissment et les performances scolaires (p.ex. Kim et al. 2013 ; Nelson et al. 2015). Il est possible que la surprotection parentale interfère avec l’investissement scolaire des adolescent·es en réduisant notamment leur motivation intrinsèque à apprendre au détriment d’une motivation plus extrinsèque (p.ex. approbation parentale, punitions/récompenses, accent mis sur les notes, etc.) (Schiffrin, et al., 2014). Lorsque les parents transmettent le message, même involontairement, qu’il s’agit de réussir sur le plan scolaire afin d’être accepté et aimé (par opposition à un regard positif inconditionnel ; Segrin, et al. 2015), la motivation extrinsèque risque encore d’être renforcée. Un tel environnement familial peut aussi contribuer au développement de tendances perfectionnistes chez l’adolescent·e, ce qui peut paradoxalement également être associé à de moins bons résultats scolaires (Elliot et McGregor 2001 ; Richardson et al. 2012). Enfin la surprotection parentale également été associée à un sentiment accru « d’avoir droit » qui peut aussi interférer avec l’adaptation de l’adolescent·e dans les contextes éducatifs (Segrin, et al., 2012, 2013). Les adolescent·es dont les parents sont surprotecteurs peuvent avoir le sentiment d'avoir droit à un traitement de faveur de la part de leurs figures parentales ou d'autres figures d'autorité (p. ex., les enseignant·es) pour leur travail scolaire par exemple. Si les adolescent·es en arrivent effectivement à s’attendre à ce que leurs parents et plus généralement les adultes s’investissent dans leurs études et leur vie en général (c'est-à-dire qu’ils attendent à qu’ils le fassent), cela peut impacter leurs motivations à atteindre des objectifs scolaire mais plus généralement porter atteinte à leurs capacités à se situer comme individu, à faire des choix ou encore à se projeter dans un projet personnel (définies entre autres comme des capacités transversales dans le Plan d’Etudes Romand).

En se focalisant sur les déterminants de la surprotection parentale, les résultats de ce projet peuvent nous indiquer quels sont les facteurs contextuels et culturels qui contribuent au surinvestissement et à la surprotection parentale. Ces résultats pourraient guider des actions d’information, de sensibilisation et de prévention destinées aux parents d’adolescent·es, mais également au personnel éducatif (p.ex. enseignant·es) dans le contexte scolaire. En miroir du système familial, ces résultats pourraient également conduire à des réflexions intéressantes sur la posture éducative des enseignant·es dans le contexte scolaire, ainsi qu’à l’articulation entre cette dernière et la posture des parents.

Description du projet
Résumé: 

Ce projet s’inscrit dans une étude internationale intitulée “Better safe than sorry? Identifying causes of overprotective parenting in a changing social world” et financée par le Conseil Européen de la Recherche (www.safesorry.be; ERC grant n°950289). Ce projet a pour objectif général d’examiner les déterminants sociaux, économiques et culturels du phénomène de surprotection parentale qui caractériserait de plus en plus la parentalité contemporaine. En effet, dans nos sociétés contemporaines, les parents semblent davantage considérés comme responsables du bien-être de leurs enfants (Twenge, 2009) ; ce qui peut amener certains d’entre eux à vouloir protéger leurs enfants de tous dangers ou difficultés potentiels (Furedi, 2018). Plus spécifiquement, ce projet permettra de vérifier dans quelle mesure la surprotection à l’adolescence est ancrée dans les représentations des parents associées au contexte, telles que leur perception des attentes de la société en ce qui concerne la parentalité et l’éducation. Le projet cherchera également à savoir si des caractéristiques spécifiques des différents contextes culturels examinés (comparaison de 10 pays, dont la Suisse) façonnent ces représentations. Enfin, le projet permettra d’étudier les dynamiques entre ces facteurs contextuels et des facteurs parentaux.

Selon un vieux proverbe, les parents devraient « préparer l’enfant pour la route, et non la route pour l’enfant ». Cependant, les parents prépareraient de plus en plus la route pour leurs enfants et aujourd'hui, en raison notamment de diverses évolutions sociales, il semblerait que les parents soient plus enclins à adopter des stratégies surprotectrices dans l’éducation de leurs enfants. La surprotection parentale correspond à une forme de protection parentale qui est excessive par rapport au niveau développemental de l’enfant (Thomasgard et al., 1995). Bien qu’à court terme ces pratiques parentales puissent apparaître comme bénéfiques et positives pour le développement de l’enfant et de l’adolescent·e, la surprotection parentale constituerait à long terme un facteur de risque pour le développement psychosocial des jeunes générations. En effet, de nombreux travaux de recherche récents (pour une revue, voir Venard, et al., 2021) suggèrent que la surprotection parentale est associée notamment à un risque accru de difficultés scolaires et psychiques. Lorsque les parents surprotègent leurs enfants et adolescent·es, ils ne leur permettent pas de développer les aptitudes et compétences nécessaires pour affronter de manière autonome et indépendante les défis du quotidien dans les différents domaines de leur vie (scolarité, amitiés, etc.).

Bien que les études disponibles permettent de mieux comprendre les déterminants potentiels de la surprotection parentale comme les caractéristiques de l’enfant ou des parents, il est également essentiel de tenir compte plus largement du rôle des contextes sociaux, culturels, économiques et historiques qui sont souvent négligés. Les parents pourraient ainsi être critiqués d’avoir adopté une approche parentale qui pourrait, en fait, constituer une stratégie d’adaptation à des réalités socio-économiques changeantes. Toutefois, à ce jour, malgré une littérature en expansion, très peu de travaux examinent les facteurs qui expliquent les raisons pour lesquelles certains parents d’adolescent·es sont plus surprotecteurs que d’autres et la manière dont ces facteurs contextuels interagissent avec certaines caractéristiques parentales. Parmi ces facteurs contextuels, nous examinerons notamment l’impact des perceptions parentales de la pression sociale à « être un parent parfait », de leur vision du monde ou encore de la situation économique. Le projet permettra également de mieux comprendre comment les différences culturelles façonnent les représentations parentales, et potentiellement accentuent la tendance des parents à s'engager dans de la surprotection parentale.

Mots-clés: 
Parentalité
Surprotection parentale
Adolescence
Société
Comparaison interculturelle
Méthode
Plans de recherche et modes/instruments de recueil de données: 

La collecte des données se fera par des questionnaires auto-reportés complétés anonymement par les parents/représentants légaux d’adolescent·es. Il suffira pour les parents désireux de participer à l’étude de remplir un questionnaire qui leur aura été préalablement transmis par l’adolescent·e concerné·e et de nous le renvoyer à l’aide d’une enveloppe préaffranchie. Les principaux concepts opérationnalisés et évalués les suivants :

- La surprotection parentale : Multidimensional Overprotective Parenting Scale (Kins & Soenens, 2013 ; Chevrier, et al., in press) qui évalue plusieurs composantes de la surprotection parentale, notamment la résolution prématurée de problèmes, l'éducation anxieuse, l'hyperactivation des émotions, l'infantilisation, l’intrusion dans la vie privée et la surprotection générale.

- Les représentations des parents liées au contexte : (a) adhésion à l’idéologie de la parentalité intensive : Intensive Parenting Attitudes Questionnaires (Liss et al., 2013) ; (b) pression sociale perçue : Parental Social Pressure Scale (Wuyts et al., 2015) ; (c) vision du monde (menaçant, dangereux, compétitif): Social Worldview Scales (Perry et al., 2013)  (d) menace environnementale (climat, pandémie) : World Out There Questionnaire (Grolnick & Gurland, 2005) ; (e) insécurité de l’emploi : Job Insecurity Scale (Vander Elst et al., 2014)

- Enfin, les parents seront également évalués sur leur orientation collectiviste-individualiste (Triandis & Gelfand, 1998), leur construction de soi interdépendante (Cross et al., 2000), leur évitement de l'incertitude (Jung & Kellaris, 2004), et leurs attitudes à l'égard des rôles genrée (Larsen & Long, 1988).

Tous les questionnaires ont été adaptés conformément aux directives de la Commission internationale des tests (Hambleton, 2001) et sont disponibles en français. Une étude pilote a été réalisée en Belgique (N=177 parents d’adolescent·es âgé·es de 16 à 18 ans) pour examiner la faisabilité du questionnaire et les qualités psychométriques de l’ensemble des mesures.

Les données obtenues feront l’objet d’analyses descriptives suivies d’analyses inférentielles pour explorer les associations entre les différentes variables évaluées. Afin de tester des modèles théoriques (p.ex., médiation, modération), nous procéderons également à des analyses plus complexes (c.-à-d., modèles d'équations structurelles ; Kline, 2010). Du point de vue interculturel, l'analyse des données consistera d'abord à examiner les différents niveaux d'invariance de mesure (Milfont & Fischer, 2010), en effectuant des analyses comparatives multigroupes dans le cadre d'une analyse factorielle confirmatoire. Ensuite, des modèles de type « country-fixed effects models » (Bryan & Jenkins, 2016) seront utilisés pour distinguer les effets au niveau national des effets au niveau individuel.